L'année dernière j'ai eu le plaisir d'être sollicitée pour réaliser une commande particulière... Recréer une scéne prise en photo, mais en changeant d'angle. Il fallait donc imaginer le personnage qui était visible de dos, courir de face. Mais aussi tous les autres personnages autour.
C'était à la fois un travail d'imagination, de réflexion, et de logique. Pour trouver des postures à la fois réalistes et crédibles, j'ai passé un paquet de temps à moi même essayer de prendre la pose, avec deux miroirs pour voir si ca pouvait "marcher"...
Au final, voila la photo (de dos) et l'illustration terminée:
On aurait pu s'arrêter la, mais comme ce personnage est assez extraordinaire, j'ai eu envie de demander à celle qui était destinataire de cette illustration (cette commande était un cadeau) et qui est son arrière petite nièce.
Elle m'a fait le plaisir d'accepter, alors je vous propose de découvrir ici ce fantastique personnage et pourquoi il était si inspirant.
Le colonel Xavier-Marie Desgrées du Loû, héros de la Grande Guerre
Marie Plus
Arrière petite-nièce
du colonel Xavier-Marie Desgrées du Loû
"Le combat et le danger sont la plus belle prière, puisqu’elle peut aller jusqu’au sacrifice."1
Né le 13 mars 1860 à Vannes, Xavier DESGREES du LOU est entré dans l’histoire par la célèbre photo prise par le sergent CHARREAU lors de la bataille de la Marne. Chef de corps du 65e Régiment d’Infanterie appartenant à la 21e Division d’Infanterie, il est mort pour la France le 25 septembre 1915, lors de la seconde bataille de Champagne, à Minaucourt-le-Mesnil-lès-Hurlus, à l’âge de 55 ans, cinq minutes après cette photographie.
Mais pourquoi ce chef de corps est-il devenu porte-drapeau un court instant ? Qu’est-ce qui fait de lui un héros de cette Grande Guerre et un exemple pour la jeunesse de France ?
"Combien ne faut-il pas prier pour qu’à ce moment suprême rien ne vienne troubler votre conscience ! On sent qu’alors rien ne compte plus que Dieu. Suis-je prêt ? Si on l’est, la mort n’est rien. Malgré les regrets, quels que soient les êtres chers que l’on abandonne, on se dit que l’honneur est engagé, que le devoir français vous oblige et que Dieu n’accepte pas que l’on se refuse à son accomplissement."2
Le 24 septembre au soir, dans sa tranchée une estafette lui apporte une missive, en provenance de l’État-major du Général en Chef, qui donne ordre d’une attaque le lendemain. Le colonel lit devant ses troupes la mission à remplir. Ce à quoi il clôtura en disant : « On m’a demandé si on pouvait compter sur le 65ème, j’ai répondu JUSQU'À LA MORT ». En effet, la mission est risquée. Le 65e RI devait attaquer les organisations allemandes entre les « Mamelles » et le « Poignard » à deux kilomètres au Nord de Mesnil-les-Hurlus, en vue de créer une rupture du front allemand.
Ainsi, le lendemain 25 septembre, au vu des ordres donnés, le colonel annonce « Je veux voir
tout mon régiment défiler devant moi. L’attaque est pour 9h15, je serais donc en première ligne à 9h00.Restez ici, vous rejoindrez derrière le bataillon de queue 3 » . Maître de lui-même et d’un calme absolu, le colonel donne l’exemple sur toute la dimension de l’engagement dans le combat pour un chef de guerre. Son régiment est échelonné en quatre vagues d’assaut pour sortir des tranchées et affronter l’ennemi dans un élan de gloire et de courage. Sous le feu violent de l’adversaire, le 65e RI tient tête.
Dans sa tenue de combat ornée de sa croix de guerre épinglée sur sa poitrine et équipé de son revolver, le colonel se lève avec abnégation, prend l’emblème des mains du sous-lieutenant LEBERT et monte au-devant de la tranchée, sous les feux allemands, pour montrer le chemin à ses soldats. Ce geste de courage est immortalisé par l’un de ses fidèles soldats. Ce symbole de la détermination que doit avoir un chef lors du combat reste gravé dans les mémoires.
Mais sur cette photo qui illustre son énergie et son courage au feu ne montre malheureusement
pas son visage. Ce que ne dit pas la photo c’est que, le 10 septembre 1915, le colonel a été cité à l’ordre
de l’Armée pour sa bravoure au combat à la suite de blessures graves obtenues le 27 août 1914 lors
des combats à Chaumont-Saint-Quentin.
"Chef de corps de haute valeur militaire et morale. Se donnant tout entier à sa tâche et obtenant les meilleurs résultats. Blessé sérieusement le 27 Août à X.... à la tête du 293e est demeuré à son poste sur la ligne de feu, donnant à son régiment un bel exemple de bravoure. Revenu sur le front avant guérison complète, n’a cessé de faire preuve d’une très grande énergie et d’une activité inlassable malgré les souffrances que lui cause encore sa blessure. A su communiquer à son régiment un esprit d’offensive, qui, au moment des opérations sur X... a permis d’obtenir d’heureux résultats (7 et 13 Juin 1915)."4
Malgré les recommandations médicales et connaissant les enjeux de l’offensive en Champagne, il tint à être présent à la tête de ses hommes pour les mener à la bataille. Verrait-on sur ce visage les stigmates de la douleur des blessures ou la joie d’un chef qui va au bout son engagement pour partager jusqu’au bout le sort de ses soldats. Regret ? Contrariété ? Pourrions-nous aller au-delà de cette déception de ne pouvoir nous arrêter sur les traits de son visage d’homme et d’officier qui auraient pu être tirés par la fatigue, la souffrance, souriant, confiant en ses hommes, calme ?
C’est un instant radieux du sens du sacrifice, immortalisé par « un coup de chance », où l’on peut contempler un soldat- officier en plein combat face à une mort certaine, les yeux sûrement emplis de la lumière de la joie guerrière qui crie à ses hommes « Allons-y, vive la France, en avant ! ». Son visage est déjà tourné vers l’avenir, vers ce qu’il avait comme idéal : donner sa vie pour sa patrie et l’assurance de la vie éternelle ; comme s’il avait décidé de détourner son regard de sa famille pour plus grand ailleurs. Il ne nous regarde plus, il est tourné vers la vie comme s’il ne craignait pas le trépas. Debout, droit, immobile, il agite le drapeau de son régiment pour appeler ses hommes à l’héroïsme et au courage face à l’adversité. Les soldats vouant un profond respect et une admiration pour leur chef le suivent avec dévouement et sont prêts à l’accompagner vaillamment. Il désigne l’objectif à atteindre : prendre les positions allemandes quoiqu’il en coûte.
Mais, cinq minutes plus tard, à 10 mètres de la tranchée allemande, l’emblème du régiment tombe au sol avec son gardien et chef frappé d’une balle. Le colonel qui, part ses valeurs chevaleresques, a tout donné pour entrainer ses hommes à l’assaut de la victoire et leur donner du courage face au risque de la mort est parti à la rencontre du Christ. A l’issue de cette offensive, le 65e RI pleure la perte de 330 blessés, 420 disparus, 41 tués dont son chef de corps.
"Chef de Corps d’un magnifique courage. Déjà blessé au ours de la campagne, était revenu incomplètement guéri sur le front. A vaillamment succombé au premier rang en entraînant son régiment à l’assaut d’une position ennemie garnie de fil de fer (25 Septembre 1915).5
Avec les honneurs de la guerre, le 29 septembre 1915 6 sur les pentes Nord Est du Ravin de la Goutte près de la tête du ravin, le colonel est inhumé par les Allemands (en présence d’un Régiment de Réserve allemand). Son épouse, Renée DESGREES du LOU, a reçu les papiers retrouvés dans les affaires de son mari, sa plaque d’identité ainsi qu’un plan pour permettre de retrouver sa sépulture.
Malheureusement pour la famille, sa tombe n’a jamais été retrouvée. Pour rendre hommage à ce héros de la guerre, le colonel de VIAL, qui a succédé au colonel DESGREES du LOU à la tête du régiment, a envoyé à madame DESGREES du LOU un morceau du drapeau, qui lui-même a été déposé au Musée de l’Armée le 22 Novembre 1922. Nous pouvons aujourd’hui voir l’emblème du régiment au Service Historique de la Défense dans la salle aux drapeaux. La bravoure et le sacrifice du colonel DESGREES du LOU ont été tels que l’on dit qu’encore aujourd’hui des traces du sang du « père du régiment » sont restées sur l’emblème.
Son idéal tendu vers le don de sa vie pour sa patrie peut être un exemple pour tout jeune soldat de la France. Une vie tournée vers un absolu que l’on peut essayer de contempler au travers de cette photographie.
Marie Plus
Arrière petite-nièce
du colonel Xavier-Marie Desgrées du Loû
1 Extrait d’une lettre du colonel Xavier-Marie DESGREES du LOU.
2 Testament du colonel Xavier-Marie DESGREES du LOU.
3L’illustration, Samedi 20 novembre 1915, 13e année, numéro 3794.
4 Cité à l’o de l’Armée (extrait du J. officiel du 10 Septembre 1915).
5 Cité à l’o de la 2ème Armée, (Ordre Général n°42).
6 Septembre 1915. Victoire ou aube sanglante ? [archive], Le Télégramme, 4 septembre 2015.
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