Edouard Manet, qui n’a jamais entendu ce nom, même sans être un féru de peinture ? Il faut dire qu’on a là un des peintres (et graveurs) majeurs du XIXème siècle.
Il méritait bien un article et une (magnifique) illustration !
A L'ATELIER DE COUTURE ... (SI SI, JE VOUS ASSURE)
Un peu de contexte, comme d'habitude, avant d'attaquer dans le dur ! Edouard, fils d'Auguste et d'Eugénie (des gens pas très fun et plutôt austères), naquit le lundi 23 janvier 1832 à Paris. Papa était chef de cabinet du Garde des Sceaux, tandis que maman était fille de diplomate et, accessoirement, la filleule du Maréchal Bernadotte (oui oui, le maréchal d'Empire, qui fut ensuite Roi de Suède, sous le nom de Charles XIV, de 1818 à sa mort en 44).
Le petit Edouard n'est pas un très bon élève. L'école, pour lui, c'est bof. Il est peu attentif, dissipé, souvent insolent, bref, c'est vraiment pas son truc ... Ses notes ne sont pas excellentes, mais ça passe.
Il est sensibilisé très tôt à l'art, et notamment aux grands maîtres de la peinture, par son oncle, Edouard (lui aussi) Fournier, qui l'encourage à persévérer dans le domaine, vu les prédispositions qu'il manifeste.
Mais, comme avec Manet, c'est "parle à ma main", il plaque le collège et tente de s'engager dans la Marine de Guerre. Je dis "tente", parce qu'il est recalé. Il s'embarque alors sur un bateau école, part pendant plus de 6 mois et rentre avec ses valises chargées de dessins (et la syphilis en bonus ...).
Au retour, il tente de nouveau de devenir officier de marine ... mais se plante derechef. Du coup, papa et maman consentent à ce qu'il poursuive une carrière artistique. Mais (car avec Manet il y a toujours un "mais"), il refuse de s'inscrire aux Beaux-Arts ! C'est auprès du peintre Thomas Couture qu'il fait ses armes et figure sur la liste des copistes du Louvre. Il y apprendra toutes les techniques de base et réalisera quelques copies de grands maîtres (notons l'autoportrait du Tintoret ou encore le Jupiter et Antiope du Titien). Il demeure à l'atelier Couture durant 6 ans, mais (oui, encore "mais"), il commence à contester l'enseignement de Couture, figure de l'art académique (très axé sur l'antiquité) et prend régulièrement le contre-pied de ses conseils. Oui, Manet peut être casse bonbons quand il s'y met (et il s'y met assez régulièrement).
Par la suite, il se balade un peu partout en Europe et effectue plusieurs copies d'œuvres célèbres. Du Rembrandt, du Titien, j'en passe, et des meilleurs.
En 1856, après moult prises de bec et d'incompréhensions entre Manet et son maître, Edouard finit par emménager dans son propre atelier. Et soudain, c'est le drame ... Oui, sans blague. En 1859, date à laquelle il dévoile sa première œuvre (Le Buveur D'Absinthe, qui est refusé pour son manque d'académisme), il engage un jeune garçon de 15 ans chargé de nettoyer ses pinceaux. (et qui lui servira de modèle pour L'Enfant Aux Cerises). Un jour, le gamin ne fait pas son boulot aussi bien que ce que Manet attendait. Manet lui passe un savon et lui déclare tout de go que, s'il recommence, il le renvoie à ses parents. Le pauvre gosse sera retrouvé pendu dans l'atelier ...
Très marqué, Manet déménage 2 fois dans l'année suivante. Il rencontre Baudelaire à cette époque, qui lui dédiera le poème La Corde, basé sur cet épisode dramatique.
Bref ! Trêve de récits déprimants et revenons à notre cher Edouard.
E VIVA ESPAÑA
Ses débuts (hors atelier), outre le splendide La Barque De Dante d'après Delacroix (1859), sont marqués par une période hispanique, où l'on retrouve des inspirations de Goya, Murillo ou Velasquez. Les œuvres les plus notables de cette série sont Le Vieux Musicien, Les Cavaliers Espagnols, ou encore le Jeune Homme En Costume de Majo. Citons aussi Mlle V. En Costume D'Espada (1862) qui défraya un tant soit peu la chronique, puisqu'on y retrouvait son modèle, Victorine Meurent, en tenue de torero.
Ce qui, à cette époque encore bien misogyne, était une hérésie, une absurdité, une gabegie, une calembredaine, ... (<- insérez ici toutes sortes de synonymes à consonnance délicieusement désuète).
Fasciné par la corrida, il lui dédiera plusieurs toiles, dont son célèbre Homme Mort (1864).
PAS DE BOOGIE WOOGIE AVANT DE FAIRE VOS PRIERES DU SOIR
Oui, bizarrement, Manet, le laïc, le rebelle, réalisera plusieurs toiles à caractère religieux. S'inspirant des maîtres italiens, comme Fra Angelico, il traite les corps avec réalisme, loin des images idéalisées, ce qui lui vaudra les critiques de Gustave Courbet ou encore de Théophile Gautier. Emile Zola, au contraire, les encensera, détectant dans ces œuvres l'audace de Manet. Quoi qu'il en soit, ces tableaux seront haïs des ennemis du peintre et seront une source d'embarras pour ses amis, qui ne comprennent pas ce choix de sujet.
Citons pour exemple Le Christ Jardinier, Un Moine En Prière, Le Christ Mort Et Les Anges, ou encore Jésus Insulté Par Les Soldats.
LES PRIERES C'EST BON, PLACE AU BOOGIE WOOGIE ...
Au début des années 60 (celles du XIXème siècle ...), Manet est de plus en plus mondain. Tous les jours, ou presque, de 14 à 16h, on peut le retrouver, en compagnie de son ami Baudelaire, aux Tuileries, rendez-vous du beau monde parisien de l'époque.
Elégamment vêtu, notre peintre classieux croque à tour de bras ou s'installe avec toile et palette. Très vite, il se constitue une sorte de petite cour d'admirateurs/trices qui l'attend généralement à son QG du moment, le luxueux café Tortoni, où ses épreuves et croquis se passaient de main en main avec les "Oh" et les "Ah" de rigueur.
C'est en toute logique que Manet nous livre La Musique Aux Tuileries (1862), instantané du monde qu'il côtoie chaque jour. Il y représente nombre ses ami(e)s (ainsi que lui-même à l'extrême gauche).
S'il ne soulève pas l'enthousiasme à sa parution, le critique Paul de Saint-Victor déclarant notamment que "son concert aux Tuileries écorche les yeux comme la musique des foires fait saigner l'oreille" (et bam ! Cassé !), La Musique Aux Tuileries sera par la suite une source d'inspiration pour les peintres impressionnistes et post-impressionnistes (citons notamment Monet ou Renoir).
C'est cette même année qu'est créé le Salon des refusés. En marge du renommé Salon officiel et annuel de Paris, où l'on expose les œuvres sélectionnées, on décide d'ouvrir une salle parallèle où seront présentés les tableaux rejetés. Sans surprise, Manet y exposera 3 de ses toiles les plus controversées.
ET SI ON FAISAIT UN PIQUE-NIQUE ?
Eh oui, c'est LA toile de Manet qui a généré le plus de réactions, positives ou négatives, enchantées ou outrées, j'ai nommé Le Déjeuner Sur L'Herbe (que Manet lui-même surnommera sa "Partie Carrée") !
C'est à la fois un nu, un paysage, une nature morte, une scène de genre et un scandale ! Du moins, pour certains critiques de l'époque.
On y voit donc deux dandys bien habillés en compagnie de deux jeunes femmes en petite tenue ou pas de tenue du tout.
Si l'oeuvre scandalise, c'est un peu (beaucoup) voulu par Manet. Il aurait déclaré à son ami Antonin Proust "Il paraît qu'il faut que je fasse un nu, eh ben je vais leur en faire un de nu !"
Et il faut aller chercher un peu plus loin que ce que l'on a sous les yeux. La scène est en fait un dérivé du Concert Champêtre du Titien, où l'on voit deux femmes nues (les muses Calliope et Polymnie) en compagnie de deux hommes (qui sont eux, bien habillés). Quant à la composition, on la retrouve sur la partie droite du Jugement de Pâris (de Raimondi, d'après Raphaël). Comme vous le voyez, dans sa réalisation, notre bon Edouard est allé creuser loin.
Pourquoi ça choque, eh bien parce que, dans la peinture académique, les nus féminins sont admis ... tant qu'on parle de mythologie. De plus, la dame, déesse, muse, etc, est, le plus souvent, surprise (généralement au bain), ou, du moins, détourne le regard (comme si son côté pudique "atténuait" la nudité). Or, dans Le Déjeuner Sur L'Herbe, la femme au premier plan ... est une femme ! Pas une déesse, pas une figure mythologique, juste une femme tout à fait normale et assise dans une attitude désinvolte (contrairement aux classiques dont je vous parlais plus haut). Et pire, celle-ci regarde le spectateur droit dans les yeux ! Enfin, mes bons messieurs, cela ne se fait pas !
Pourquoi Manet a-t-il donc choisi de choquer ainsi ? Eh bien pour dénoncer justement l'hypocrisie de la peinture académique. Pour les critiques de l'époque, on peut tout à fait montrer une paire de fesses ou de seins ... tant qu'il s'agit de fiction ! Si la scène représente une scène de la "vraie vie", alors là, enfin, quel choc, quelle honte, enfin, vous n'y pensez pas !
Ben voyons ...
Vous l'aurez compris, avec cette œuvre, Manet déchaîne les passions. Débats animés, critiques, encensements, bref, il ne laisse personne insensible.
Mais, car, comme vous le savez, avec Manet, il y a toujours un "mais", il remet ça l'année suivante !
MANET AUX JEUX OLYMPIQUES
Enfin presque. Je veux parler d'une toile encore plus controversée que la précédente, Olympia (1862, exposée en 65).
Qu'y voit t-on ? Une prostituée, nue (et regardant encore une fois le spectateur dans les yeux), allongée sur un lit, tandis qu'une servante lui apporte un bouquet de fleurs (sans doute annonçant son prochain client).
L'impudence et le regard de défi du sujet (le modèle étant Victorine Meurent, que l'on retrouve dans Mlle V et dans Le Déjeuner Sur L'Herbe), choquent. Plus que la nudité, c'est l'attitude "insolente" qui provoque les réactions outrées.
Encore une fois, Manet s'inspire d'une œuvre du Titien, la Vénus D'Urbin (1538). Comme vous pouvez le voir, encore une fois, tant que c'est mythologique, on a le droit !
Les critiques pleuvront sur l'artiste, qui accusera le coup. Mais bon, quand on veut choquer, il faut s'attendre à un retour de flammes !
A FOND LES MANET(TES)
Mais on ne peut pas résumer l'œuvre de Manet à 2 ou 3 tableaux ! Car notre bonhomme a été plus que prolifique dans de nombreux domaines.
Par la suite, donc, Manet réalisera un grand nombre de portraits, que ce soit d'anonymes, de membres de sa famille, de ses amis (Zola, Baudelaire, Mallarmé).
On lui doit aussi quelques peintures historiques relatives aux conflits de l'époque, comme Le Combat Du Kearsarge Et De L'Alabama (1864), une marine montrant le combat entre deux vaisseaux de guerre lors de la Guerre Civile Américaine (ce que l'on appelle chez nous la Guerre de Sécession) ou encore L'Exécution De Maximilien (de Habsbourg) après sa destitution au Mexique en 1867.
Passant tous ses étés en famille du côté de Boulogne-sur-Mer, il réalisera aussi plusieurs marines, dont son fameux Clair De Lune Sur Le Port De Boulogne, avec un clair-obscur qui déchire ou encore le Départ Du Vapeur Folkestone.
Ce sont deux tableaux, intitulés Impression, Soleil Levant et Impression, Soleil Couchant qui marquèrent véritablement le début du mouvement impressionniste (eh ouais, c'est de là que ça vient). Impressionnant, non ? (ouais, elle était facile ... et nulle)
Dans la vie artistique du XIXème, les cafés, brasseries, cafés-concert, occupent une place importante. Ce sont les points de chute où se retrouvent peintres, écrivains, poètes, mais aussi les journalistes, collectionneurs, etc. Bref, on y retrouve tout ce qui fait la vie culturelle parisienne un peu classe.
Et du coup, ce sera une énorme source d'inspiration pour Manet, qui a sa table attitrée au café Guerbois, et qui réalisera bon nombre de toiles sur le sujet, capturant l'atmosphère de ces salons où il faut être vus.
Citons pêle-mêle Au Café, Cabaret de Reichshoffen, Au café, Café-Concert, La Prune ou Chez Le Père Lathuille.
Mais on a aussi tout un tas de natures mortes, qui était un sujet que Manet appréciait et qu'on retrouvait en partie dans d'autres œuvres (comme Le Déjeuner Sur L'Herbe ou Olympia avec leurs corbeilles de fruits ou bouquets de fleurs).
Bon perso, si je reconnais le talent technique, je dois reconnaître que certains sujets me laissent de marbre, comme Saumon Et Crevettes, Deux Poires, ou encore ... Une Botte D'Asperges ... Mais bon, on ne peut pas plaire à tout le monde et ce n'est pas Manet qui me dira le contraire !
MANET ? GRAVE !
S'il est connu pour sa peinture, ce cher Edouard a toujours réalisé des gravures. S'il y a consacré du temps entre 1862 et 69, il y reviendra régulièrement jusqu'en 82.
Sa production est conséquente et il n'est pas évident de faire une liste exhaustive de toutes ses gravures, mais on en compte plus d'une centaine (connues !).
Si vous voulez associer Mallarmé à Edgar Allan Poe et Manet, vous pouvez lire la traduction de Le Corbeau (traduit de l'anglais par Mallarmé, donc), illustré par Manet en 1875. Bien que l'ouvrage n'eut pas, comme on dit, le succès escompté, il reste toutefois un bouquin assez remarquable.
Il illustra aussi L'Après-Midi D'Un Faune ainsi que Le Fleuve.
En 1879, Manet est rattrapé par la maladie (celle qu'il a contractée à Rio dans ses jeunes années) et fréquente l'établissement hydrothérapique du Docteur Fleury à Meudon-Bellevue en compagnie de son épouse. Il profitera de ce séjour pour peindre plusieurs toiles, dont Une Fille Dans Le Jardin A Bellevue (oui, pour les titres, c'était pas le roi de l'imagination. Au moins, on comprend de quoi ça parle !).
En 1882, malgré certaines oppositions, Edouard Manet reçoit la Légion d'Honneur, des mains de son vieil ami Antonin Proust, alors ministres des Beaux-Arts.
Entre 1881 et 1883, affaibli, Manet peint assis, de très nombreux petits portraits (au pastel), ainsi que des natures mortes.
MANET ET MANEBIT (VOUS COMPRENDREZ PLUS BAS !)
Le 30 avril 1883, Manet s'éteint au 39, rue de St Petersbourg à seulement 51 ans. La syphilis a engendré une maladie neuromusculaire (causant perte de motricité, paralysies partielles et douleurs) qui, elle-même a provoqué une gangrène dans le pied gauche dont il sera amputé quelques jours seulement avant son décès (ouais, j'aurais peut-être dû passer sur les détails, c'est pas fun, mais bon, autant être exact).
Il sera enterré au cimetière de Passy, le 3 mai, en présence notamment d'Emile Zola, Claude Monet, Edgar Degas, etc.
Sur sa pierre tombale, l'épitaphe suivante "Manet et manebit" (il demeure et il demeurera, en latin), comme quoi, il n'y a pas que votre humble serviteur qui fait des jeux de mots foireux !
Avec 400 toiles, d'innombrables pastels, aquarelles, gravures, esquisses et j'en passe, Manet restera un précurseur de la peinture moderne et le père de l'impressionnisme.
A défaut de vous offrir une œuvre originale du maître, vous pouvez toutefois cliquer sur la photo ci-dessous et opter pour ce brillant hommage "by Redpaln" (qui fera partie de son prochain livre illustré) !
Sur ce, je vous dis à la semaine prochaine pour un nouvel article !
Sincèrement,
Votre humble et dévoué,
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