Cette semaine, je vais vous parler d'un grand nom de la musique, un compositeur dont le nom est connu de beaucoup, mais peut-être pas son travail, j'ai nommé Jacques Offenbach (bon en fait, comme c'est le titre de l'article, la surprise tombe à plat). Je vous le dis tout de suite, les compositeurs, ce n'est pas du tout ma spécialité, mais le renard est souple et s'adapte à toute situation ! Allons-y donc pour Offenbach, que l'on surnommait le Petit Mozart des Champs Elysées.
QuI ES-Tu, D'Où vIENS-Tu ?
De Cologne ! Eh oui, né Jakob Offenbach, issu d'une famille juive ashkénaze, fut par la suite naturalisé français, mais il était bien Teuton d'origine et Prussien pour être exact.
Né le dimanche 20 juin 1819, le jour de l'arrivée aux Etats-Unis du Savannah, premier navire à vapeur ayant traversé l'Atlantique et 10 jours après la naissance du peintre Gustave Courbet (non, ces deux événements n'ont rien à voir avec le sujet), Jakob est le 2ème enfant (sur 10) de la famille. Papa s'appelle Isaac et maman, Marianne.
C'est justement papa qui lui apprend à jouer du violon dès l'âge de 6 ans. A 9 ans, ce petit rebelle passe au violoncelle. 3 ans plus tard, Jakob écrit ses premières compositions et pas de la gnognotte, parce que même son maître, le célèbre violoncelliste Bernhard Breuer est impressionné par la difficulté technique des partitions.
A 14 ans, accompagné de papa Isaac, Jakob quitte Cologne pour Paris (avec son frère Julius qui pratique le violon) pour y poursuivre leurs études. Nous sommes alors en 1833.
Rendez-vous est pris avec Luigi Cherubini, directeur du conservatoire de Paris, pour faire passer une audition à Jakob. Mais Cherubini a pas mal de préjugés et il avait déjà refusé Franz Liszt, rien que ça, à cause de son âge et, surtout, de sa nationalité. Là on a un petit gars de 14 ans et Prussien, donc Jakob part avec un certain handicap.
Mais, finalement, petit coup d'instinct, il se laisse convaincre et Jakob commence à jouer. Pas longtemps, puisque Cherubini l'interrompt. "Assez, jeune homme", lui dit-il. Oh le vilain, me direz-vous. Mais non, car il ajoute aussitôt : "vous êtes maintenant un élève de ce conservatoire !"
C'est après cet épisode que Jakob et Julius francisent leurs prénoms en Jacques et Jules. Papa espérait pouvoir trouver un emploi sur Paris pour subvenir aux besoins de ses enfants et assurer leurs frais d'études, mais il fait chou blanc et doit rentrer sur Cologne. Jules donne des leçons de violon et les deux frères sont membres des chœurs de la synagogue, ce qui leur assure quelques revenus, modestes, mais suffisants.
JACQuES SOLO
Comme Han, mais en musique. Fin 1834, Jacques s'ennuie ferme et quitte le Conservatoire. Après quelques petits boulots temporaires, il obtient un poste permanent de violoncelliste à l'Opéra-Comique en 1835. Oui, mais il est plusieurs fois privé de paye à cause de ses blagues. Oui oui. On ne dirait pas à le voir comme ça, mais notre petit Jacques est un farceur. Du genre à saboter les pupitres de ses collègues pour que les partitions se cassent la binette, à jouer des notes volontairement décalées, etc. Notez qu'il n'était pas tout seul, puisque le violoncelliste principal de l'orchestre lui prêtait main forte dans ses pitreries !
Néanmoins, son talent lui permet de jouer dans des salons à la mode un peu huppés et c'est là qu'il y rencontre Herminie d'Alcain, fille d'un général espagnol. Ils tombent amoureux, mais sa situation financière et sa trop petite notoriété font qu'il se refuse pour l'instant à demander le mariage.
Il entame alors une tournée en France et en Allemagne, puis en Angleterre. Il s'y produira en compagnie de grands noms de l'époque, dont Mendelssohn, devant la Reine Victoria, le Prince Albert et l'Empereur de Russie.
Au terme de ce périple, le voilà plutôt à l'aise financièrement et avec une excellente réputation dans le milieu. Donc, plus aucun obstacle ne s'oppose au mariage ! Ah zut, si, il en reste un, d'ordre religieux. Comme je vous le disais en début d'article, Jacques est Juif. Herminie est Chrétienne. La seule possibilité est la conversion de Jacques, ce qu'il fait, avec la Comtesse de Vaux en guise de marraine.
Les noces sont célébrées le 14 août 1844 et, malgré quelques infidélités de la part de Jacques (notamment avec ses actrices), ce sera un mariage heureux et qui durera jusqu'à la mort d'Offenbach en 1880.
Jusqu'en 48, il fréquente de nouveau les salons mondains et compose de plus en plus, notamment de l'opéra. Mais, en 1848, survient le renversement de Louis-Philippe et Jacques emmène son épouse et leur toute jeune fille dans la famille, à Cologne, pour s'éloigner des violences qui accompagnent cette petite révolution. Ils rentreront l'année d'après.
CHAPEAu-CLAQuE POuR OPéRA-BOuFFE
Après avoir écrit 3 pièces en 1 acte, présenté au théâtre des Folies-Nouvelles (l'Opéra Comique n'ayant pas été convaincu), entre 1853 et 1855, notre bon Jacques décide qu'il est temps pour lui de voler de ses propres ailes. Il veut SON théâtre et il l'aura !
Et sur les Champs Elysées, pas moins ! C'est judicieux, car cette année-là, Paris accueille l'Exposition Universelle et il y a pas mal de monde qui va circuler sur la grande avenue (enfin pas tout à fait car nous sommes avant la réorganisation orchestrée par le Baron Haussmann quelques années plus tard).
Offenbach jette son dévolu sur la salle Lacaze, située non loin du site ouvre, fin juin, le célèbre Théâtre des Bouffes-Parisiens que l'on connaît encore aujourd'hui.
Que les Champs-Elysées soit encore une avenue (mal) pavée et peu pratique, fait que le public rechigne à s'y aventurer en hiver. Aussi, Offenbach loue-t-il la salle Choiseul pour ses représentations hivernales, retournant salle Lacaze à la belle saison. Notez qu'en 1861, lassé des transferts semestriels, il abandonne définitivement les Champs Elysées pour le Passage Choiseul.
Sa renommée grandissant, Offenbach rédige, pour le Figaro, en 1856, un article relatant l'histoire de l'opéra comique.
HE'S OFFENBACH, BuT SOMETIMES ALSO MOZART (OuI, JE PEuX AuSSI FAIRE DES JEuX DE MOTS EN ANGLAIS ...)
Avec l'accord de l'auteur, il adaptera Il Signor Bruschino, une comédie de Rossini, qui connaît un très grand succès. Pour le centenaire de la mort de Mozart, auquel Offenbach éprouve une admiration sans limite, il adapte Der Schauspieldirektor, petit opéra comique en un acte. C'est un nouveau succès, au point que Napoléon III demande à la troupe d'organiser une représentation aux Tuileries.
Que les Bouffes-Parisiens fassent salle comble la plupart du temps ne signifie pas que le théâtre roule sur l'or. Eh non, Jacques n'est pas un super gestionnaire et dépense pas mal en costumes, renouvellement des décorations et mobilier, bref, comme dirait un certain M. Hammond : "J'ai dépensé sans compter !" Oui, ok, mais du coup, va falloir renflouer les caisses ! En 1857, la moitié de la troupe organise une saison à Londres, au St James' Theater, tandis que l'autre moitié poursuit toujours salle Choiseul.
TROuvER LE PARADIS EN ENFER
Cet épisode ne lui servira pas de leçon puisque, en 1858, il lance sa super production, Orphée aux Enfers. Les costumes sont splendides, 20 acteurs se côtoient sur scène, et tout ceci est mis en musique par un grand chœur et un orchestre ! Oui, ça fait beaucoup. Ah, non, attendez, j'avais oublié : les décors sont réalisés par Gustave Doré !
On s'attend à un succès modeste, mais il faut de nouveau renflouer le navire, suite à une saison moisie à Berlin. Notez la technique de notre cher Jacques : "on est dans la mouise, il nous faut du blé, alors je vais claquer tout ce qui nous reste dans une production de ouf ..."
Mais, comme on dit aujourd'hui, il fait un bad buzz. Le critique Jules Janin grimpe aux rideaux et fustige l'opérette en l'accusant d'être une satire de l'Empereur et de son gouvernement.
C'est là où Offenbach aura le nez creux. C'est l'occasion de se faire de la pub gratuite ! Avec son librettiste, Hector Crémieux, ils se lancent dans un débat public et animé dans les colonnes du Figaro. De nos jours, Offenbach aurait enflammé Twitter !
Evidemment, tout cela attise l'intérêt du public qui veut se rendre compte par lui-même de ce qui se passe dans cette pièce si controversée. Parmi les spectateurs, l'Empereur en personne, qui assistera à la pièce en 1860. Le succès est monstrueux, les recettes aussi et, malgré des succès ultérieurs tout aussi importants (voire plus), Orphée aux Enfers reste la plus populaire des pièces d'Offenbach, notamment par ses valses entraînantes.
LES AuTRES ANNéES 60
Cette période sera la meilleure d'Offenbach. Sur ordre de Napoléon III, il reçoit la nationalité française en 60 et, en 61, il est nommé Chevalier de la Légion d'Honneur. Ca commence bien !
Suit une virée à Vienne où il reprend son violoncelle et joue devant l'Empereur François-Joseph Ier.
De retour à paris, il poursuit l'écriture d'opérettes et démissionne de son poste directeur des Bouffes-Parisiens au profit d'Alphonse Varney. C'est après avoir quitté son théâtre, en 64, qu'il écrira sa première œuvre "sérieuse", Les Fées du Rhin. Bon, disons que ce n'est pas un échec, mais ça ne fait pas l'unanimité. Surtout, c'est long et c'est avec de sacrées coupes qu'il sera présenté à Vienne et à Cologne. Il faudra attendre ... 2002 pour le voir dans son intégralité !
C'est à la fin de cette même année qu'Offenbach commence à surtout écrire pour d'autres théâtres, plus "importants".
Ses 4 opérettes les plus connues sont écrites dans une période allant de 64 à 68 : La Belle Hélène, La Vie Parisienne, La Grande-duchesse de Gérolstein et La Périchole sur lesquelles on reviendra ci-dessous.
Concernant La Belle Hélène (en 64), c'est de nouveau le critique Janin qui assurera involontairement son succès en fustigeant une fois de plus ce qu'il considère comme une satire du régime impérial (oui, il fait un peu une fixette, le garçon ... mais parfois à juste titre !).
Début 1866, c'est Barbe Bleue qui ouvre la marche des succès, suivie de La Vie Parisienne, joué dans un décor moderne, au lieu du classique habituel. Cette dernière est un succès instantané (sans avoir besoin de Janin !). Notons que notre coquin de Jacques aura une liaison avec l'actrice principale, Zulma Bouffar, jusqu'en 75 ...
Mais tout ça ne nous ... regarde pas !
Le plus grand succès d'Offenbach, toutes œuvres confondues, sera La Grande Duchesse de Gerolstein, en 1867, satire du militarisme. La première de la pièce a lieu peu après l'ouverture de l'Exposition Universelle et Parisiens et étrangers se bousculent pour aller voir cette opérette.
Dans les VIP, notons rien moins que le Roi de Prusse, accompagné du ministre Otto Von Bismarck.
Et Jacques d'enchaîner les triomphes : Robinson Crusoé, Geneviève de Brabant, Le Château à Toto, Le Pont des Soupirs, ou encore L'Île de Tuilpatan font salle comble.
En 1868, Offenbach se calme un peu (car oui, il faut l'avouer, ok, il y avait toujours un peu de satire dans ses pièces) et sort La Périchole. La critique est réservée sur ce changement de ton, mais pas le public, qui adore la pièce. Vient enfin Les Brigands, une comédie romantique qui suscitera un peu moins d'engouement.
POuR FAIRE LA GuERRE, FAuT DEvENIR LA GuERRE ! (JOHN RAMBO)
Bon, ce n'est clairement pas le truc de notre brave Jacques et il emmène toute la petite famille loin du conflit, tout d'abord à Etretat, puis dans le nord de l'Espagne, à San Sebastian.
C'est après la défaite contre les Prussiens que naît le désamour des Français pour Offenbach. En effet, on l'associe étroitement à Napoléon III et, malgré sa nationalité et sa Légion d'Honneur, ses origines et son éducation Colognaliste (hum, enfin, de Cologne, quoi), lui attirent de l'antipathie. Il faut dire que l'opinion publique est franchement anti-allemande dans ces années-là !
Sa Grande Duchesse est même interdite par chez nous, justement par son aspect anti-militariste (qui pourtant n'avait gêné personne à sa sortie).
Abandonné par le public parisien, Offenbach trouve une nouvelle popularité en Angleterre et une quinzaine de ses pièces sont jouées au Gaiety Theater, ainsi qu'au théâtre royal. Il est également joué à Vienne (c'est un peu l'enfant du pays, hein).
En 1871, il rentre en France et, s'il obtient un succès modéré avec deux nouvelles œuvres (Le Roi Carotte et La Jolie Parfumeuse), d'anciennes pièces sont reprises et font un carton, ce qui lui rapporte un petit pécule qu'il décide d'investir en prenant la direction du Théâtre de la Gaîté en 1873. Mais, on le connaît, Jacques ne sait pas faire dans la demi-mesure et les coûts de production faramineux amènent le théâtre au bord du gouffre financier. Offenbach revend ses parts et hypothèque carrément les royalties futures !
Cependant, en 1875, il fait un tabac avec l'opéra féerie Le Voyage dans la Lune.
LE RÊvE AMéRICAIN
En 1876, pour le Centenaire des Etats-Unis, Offenbach fait une tournée réussie. Il commence par un concert monstre devant 8000 personnes et une série de 40 concerts à New York et Philadelphie. Il essaie de gruger l'interdiction de jouer le dimanche en "sous-titrant" certaines de ses œuvres en les qualifiant de "prière" ou "hymne", la musique liturgique étant autorisée. Cette combine ne marchera évidemment pas et les autorités lui demanderont s'il ne les prend pas pour des jambons et feront annuler ces concerts à peine déguisés !
De retour en France en juillet 76 avec un portefeuille bien rempli (ouf), Offenbach sort, 2 ans plus tard Madame Favart et, l'année d'après, La Fille du Tambour-major, qui seront des succès.
LA SYMPHONIE INACHEvéE DE JACQuES
Depuis 1877, Offenbach planche sur une pièce, Les Contes Fantastiques d'Hoffman. Mais la santé ne suite plus. Il souffre de la goutte depuis les années 60 et là, ben ça empire. On est parfois de le porter dans le théâtre sur une chaise.
Le 5 octobre 1880, il décède au 8, boulevard des Capucines, d'une insuffisance cardiaque provoquée par la goutte aigüe qui l'accable.
On lui donnera des funérailles d'état où seront présents nombre de grands noms du gratin, sans compter la foule de milliers d'admirateurs.
On peut toujours admirer le buste qui orne sa tombe du cimetière de Montmartre et saluer sa mémoire sur place, ou encore écouter ses oeuvres, qui ont traversé le temps et, pour compléter le tout, s'offrir l'hommage graphique de Redpaln, que vous avez pu voir en tête d'article et ci-dessous.
La semaine prochaine, je vous parlerai de l'Amiral Nelson ! Ah non, elle n'a pas fait d'illustration de ce grand homme ... Tant pis, je trouverai bien quelque chose !
Opérettement-vôtre,
Votre humble et dévoué serviteur,
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