Les préfets, relais de l'Etat
- Ody
- 13 sept. 2024
- 6 min de lecture
Dernière mise à jour : 22 janv.
Une noix n'est pas costume (enfin, un truc comme ça), cette semaine, je vais vous parler, non pas d'une figure historique ou d'un événement, mais d'une fonction. Zéro surprise, vous l'avez vu dans le titre, j'ai nommé : les préfets.
Loin de moi de vous copier-coller un article PRÉ-FAIT, je m'en vais vous concocter un petit papier aux oignons, rien que pour vos yeux, comme dirait M. Bond, James Bond.
C'est quoi un préfet ?
Oui, faut commencer par là, hein ? Alors là je vais vous sortir la définition officielle.
C'est un haut-fonctionnaire de l'État (là je ne parle que de la France, n'est-ce pas ?), et la définition de sa fonction, on la trouve dans l'article 72 de la Constitution. Le préfet est, "dans les collectivités territoriales de la République, le représentant de l'État, représentant de chacun des membres du Gouvernement, a la charge des intérêts nationaux, du contrôle administratif et du respect des lois". Voilà. Pour paraphraser certains : l'État, c'est lui ! Enfin c'est lui (ou elle, hein, c'est pour simplifier) à un échelon territorial.
De fait, on trouve trois "types" de préfets, hiérarchisés. Dans l'ordre croissant de responsabilités, on trouve le sous-préfet, puis le préfet de département et enfin, le préfet de région.
En tout, on trouve un peu plus de 200 préfets et 600 sous-préfets. Alors ok, ça fait beaucoup, mais il faut savoir que 15% de ces haut-fonctionnaires occupent des postes dans l'administration centrale, services de l'état, établissements publics, etc. Le reste est effectivement affecté en préfecture / sous-préfecture.
Le préfet, une "origin story"
Et donc, ok, c'est celui qui est chargé de faire appliquer les lois de la République en région, mais qui c'est-y donc qui a créé cette fonction ?
Je vous le donne en mille : eh oui, encore lui, Napoléon Bonaparte !
C'était le 17 février 1800, alors qu'il était encore Premier Consul. A l'origine, on trouve la loi du 28 pluviôse an VII qui détermine une déconcentration de l'État sur une base départementale.
Pourquoi préfet ? Parce que ça vient du latin (et que le latin, ça fait classe) praefectus, qui signifie "placé à la tête de".
Le préfet remplace donc, dans la République, l'intendant de l'Ancien régime, qui avait mauvaise presse, étant le représentant de la toute puissance monarchique, avec tous les excès et abus de pouvoir que l'on peut attendre. D'ailleurs, sous la pression populaire, Louis XVI leur avait retiré la quasi-totalité de leurs pouvoirs pour les donner aux assemblées provinciales, instituées entre 1778 et 1787.
L'Assemblée Nationale décidera de leur dissolution définitive le 22 décembre 1789.
C'est cette volonté d'unité dans la réglementation et l'application des lois qui amène à la création de ce corps en lieu et place des collectivités locales plus ou moins autonomes. Il faut reprendre les rênes et avoir le même intermédiaire entre les assemblées départementales et la tête de l'État.
A ce titre, le préfet est l'organe exécutif exclusif du département, il préside, contrôle et anime le conseil général.
Il faut aussi souligner, que durant ces premières années, ce sont les préfets qui ont la charge de désigner directement les maires et adjoints des commune de moins de 5 000 habitants ! Au-delà de cette population, il propose les noms au Premier Consul (et plus tard, à l'Empereur, évidemment).
Mais malgré cette autorité républicaine, puis impériale, dont ils sont investis sur le papier, ben sur le terrain, il faut bien mettre de l'eau dans son vin ... Eh oui, parce qu'il faut composer avec les notables locaux, les représentants de l'armée, etc.
Il y aura notamment bisbilles en matière de préséance lors des cérémonies ... Eh oui, c'est surtout un conflit d'ego ! Tous ces petits conflits rendaient certains PRÉFETS RANCES ... Jusqu'au 13 juillet 1804 où paraîtra le décret impérial qui fixe les préséances et honneurs civils et militaires dans les cérémonies publiques. Dans ce texte, il est clairement établi que c'est bien au préfet d'accueillir l'Empereur à son arrivé dans un département.
Oui, mais ensuite ?
Eh ben même sous la Restauration, finalement, on va les garder. Louis XVIII, malgré les protestations des "ultraroyalistes", qui souhaitent le retour des anciennes institutions, ne voit pas l'intérêt de remettre en cause une administration qui a fait ses preuves. D'autant que, depuis, l'aristocratie y est largement représentée. Bon ok, il y aura une ou deux purges royalistes, mais dans l'ensemble, tout ça tient la route.
Leurs attributions évoluent néanmoins quelque peu, puisqu'ils sont un intermédiaire électoral et ont un rôle économique et social en promouvant l'industrie naissante, en luttant contre la pauvreté, etc.
Arrive la révolution de 1848, le ministre de l'intérieur, Alexandre Ledru-Rollin, remplace (brièvement, du 25 février au 20 mai 48) les préfets par des "commissaires de la République".
Waouh, me direz-vous. Ouais, mais en fait, non. Parce que le changement ne concerne que le nom, puisque aucune réforme n'aura lieu pour redéfinir leurs attributions ...
Gros pétard mouillé, donc, de la part de M. Ledru-Rollin, accueilli avec surprise au départ, et qui disparaîtra dans une indifférence à peu près générale.
Sous le Second Empire, le décret du 25 mars 1852 donne de nouveaux pouvoirs aux préfets. Leur influence sur la vie locale est prépondérante. On prendra pour exemple le préfet Haussmann à Paris !
Il faudra attendre la IIIe République pour que les instances locales voient leur autorité augmenter. Les conseils généraux, au niveau départemental et les conseils municipaux grignotent les pouvoirs et attributions des préfets dont le rôle devient plus "big picture". Leur action à cette époque se concentre sur la modernisation du pays. Je citerai les préfets Lépine et Poubelle, notamment, respectivement pour le concours et l'objet du quotidien éponymes !
En 1914, la mobilisation touche tout le monde, même les préfets ! Nombreux sont ceux qui sont mobilisés, tandis que ceux qui restent en poste (surtout dans les départements envahis par l'ennemi) sont chargés de diverses tâches : approvisionnement de l'armée, ravitaillement et mise en sûreté des populations civiles, contrôle de l'information, etc). Ils doivent composer avec l'occupant Allemand et tentent de maintenir la continuité de l'État et du service public en général.
C'est avec le décret-loi du 5 novembre 1926 que le rôle du préfet va se rapprocher grandement avec celui qu'on lui connaît aujourd'hui : (il) "surveille l'exécution des lois et règlements et que les chefs de services régionaux et départementaux sont tenus de lui fournir tous les renseignements utiles à l'accomplissement de sa mission".
Une guerre n'étant jamais loin d'une autre, la Seconde Guerre Mondiale éclate. Pour les préfets (comme pour pas mal de Français), c'est le déchirement. Nombreux sont ceux qui rejoignent la Résistance (notons que 39 d'entre eux mourront au combat, fusillés ou en déportation). Ai-je besoin de citer le plus célèbre d'entre eux, Jean Moulin ?
Par contre, on a les vilains de l'autre côté. Là aussi, les noms de Réné Bousquet (préfet) et de Maurice Papon (sous-préfet), sont toujours malheureusement connus. Comme disaient les Américains pour Pearl Harbor, ces gars-là "will live in infamy".
Sous Vichy, toute ville de plus de 2 000 habitants passe sous le contrôle total des préfets, ainsi que le département concerné.
Et aujourd'hui ?
Depuis 1945, préfets et sous préfets sont normalement issus de l'ENA (Ecole Nationale d'Administration), qui est devenue l'Institut National du Service Public en 2021. Notons également que la fonction a ENFIN été ouverte aux femmes, puisque la première sous-préfète est désignée en 1974. Il faudra encore attendre jusqu'en 1981 pour que la première préfète prenne ses fonctions ! Il était temps !
Des changements ont néanmoins eu lieu dans leurs attributions. Auparavant, leur double mission à la tête du département était la représentation de l'État et ils détenaient également le pouvoir exécutif. Depuis 1982, ils ne conservent plus que la première fonction. Et dans ce cadre, il est de leur compétence de contrôler la légalité et la conformité à la loi des décisions adoptées par les collectivités locales : la loi doit être appliquée de manière égale sur tout le territoire !
Parmi les préfets les plus célèbres, en bien ou en mal, citons le baron Haussmann (le chamboulement de Paris), Eugène Poubelle (à qui on doit ce mobilier urbain qui a fait du bien aux rues des grandes villes), Louis Lépine et son concours éponyme, versé dans l'innovation et l'invention, Sadi Carnot, futur Président de la République, Jean Moulin, grand résistant mort aux mains de la gestapo, René Bousquet collaborateur sous le régime de Vichy, Claude Érignac, assassiné dans ses fonctions par un commando nationaliste Corse, ou encore Bernard Bonnet, lui aussi préfet de Corse, qui sera connu pour la malheureuse et tragi-comique affaire des paillotes.
Voilà pour ce court article qui, je l'espère, vous aura quelque peu éclairé sur cette profession essentielle de la République, mais parfois méconnue.
Sur ce, je vous dis à la prochaine fois (vous noterez que je ne m'avance plus sur la date du prochain rendez-vous !). Notre prochain article relatera la vie de l'Amiral Horatio Nelson. Comment ? Non ? Toujours pas ? Bon ... Tant pis.
Votre humble et dévoué serviteur,

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