Après le Général Lasalle, encore un soldat, me direz-vous. Eh ben oui, mais des soldats qui finissent évêque, avouez que ça ne court pas les rues ! Et surtout ceux qui sont par la suite canonisés et deviennent les saints-patrons de plusieurs professions. Saint-Martin est de ceux-là. Le genre qui cumule les mandats.
Un peu comme pour le Gladiator de Ridley Scott, où l'on parle du général qui devint un esclave, l'esclave qui devint gladiateur, le gladiateur qui défia un empereur, laissez-moi donc vous conter la vie du Légionnaire qui devint évêque, l'évêque qui devint Saint !
CCCXVI, Martinus natus est !
Oui, c'est en 316 (selon l'année communément admise), que naît notre petit Martin. Alors, d'habitude, je vous sors même le jour de la semaine où sont nés les personnages de mes articles, mais là ... Du coup, je vais vous faire un petit topo sur ce qui s'est passé dans le monde cette année-là (et surtout, dans l'Empire Romain).
Si dans le premier semestre, il n'arrive rien de bien intéressant, le 8 octobre, a lieu la bataille de Cibalis entre l'Empereur Constantin et Licinius. Ce dernier était censé être un co-empereur de Constantin, mais a voulu tirer la couverture à lui. Cette description est extrêmement condensée, mais on n'est pas là pour parler de lui en détail ! Sachez tout de même que cette bataille eut lieu en Pannonie, l'actuelle Hongrie, qui est aussi la région de naissance de Martin. Et pouf, tel un beau Walter Giuseppe Désiré Thomas O'Malley, je retombe sur mes pattes !
Le 10 novembre, le même Constantin convoque l'évêque de Carthage et les représentants du culte Donatiste et tranche en faveur du premier, contre les schismatiques. Là encore, je vous passe les finesses des discussions de l'époque. Enfin, l'Empereur proclame un édit en faveur des esclaves. Tenez-vous bien : il est désormais interdit de les punir par crucifixion ou de les marquer au fer rouge au visage ! Si on ne peut plus s'amuser, maintenant ... Notez toutefois qu'il est cependant toujours possible de les marquer à d'autres endroits du corps ou de leur faire porter un collier inamovible ... Ouf !
Ah et sinon, le 11 décembre, en Chine, l'Empereur Min est capturé par Liu Yao et les Jin de l'Ouest s'effondrent après la capture de Chang'an par les Xiongnu du Han Zhao. Vous n'avez rien compris ? C'est pas grave, moi non plus.
J'espère ne pas vous avoir perdu(e)s en route. Revenons donc à nos moutons.
Petit préambule : tout ce que nous savons de la vie de Martin, nous le devons à son hagiographe (celui qui écrit la vie d'un saint, pour faire simple), Sulpice-Sévère, un contemporain de Martin, puisqu'il écrivit sa chronique du vivant de ce dernier, entre 396 et 397. C'est donc de sa Vita sancti Martini (aucun rapport avec l'apéritif), puis dans son Gallus ou Dialogues sur les vertus de Martin (un recueil de miracles qu'il aurait accomplis) que nous tirons nos données sur le personnage. De plus, aux Ve et VIe siècles, trois autres auteurs relateront sa vie, avec une nouvelle Vita sancti Martini ainsi qu'un autre livre intitulé De Virtuitibus sancti Martini (Vie de saint Martin et Miracles de saint Martin).
Tout ça pour vous dire que tout ce qui est raconté ici est à prendre avec des pincettes de 4 mètres de long, car la la frontière entre la légende et la réalité est plus que ténue dans les lignes qui suivent ! Mais attention, tout n'est pas faux, loin de là. La plupart du temps, les lieux et dates sont potentiellement très corrects.
Bref !
Nous sommes en 316, en Pannonie, dans la ville de Sabaria (aujourd'hui appelée Szombathely) et un petit Martinus naît au domicile d'un tribun militaire de l'Empire Romain. Là encore, je suis en manque de détails puisque je ne suis pas en mesure de vous citer le nom des parents. Enfer et damnation ... Allez, je vais me rattraper sur d'autres points, on garde courage en son cœur !
Déjà, Martinus. Ce n'est pas pour rien si papa, militaire de profession, a choisi ce prénom, qui veut dire "voué à Mars". Mars étant, je le rappelle pour ceux qui sont férus d'autres panthéons, le dieu de la guerre. La version latine de l'Arès des Grecs.
Les voyages forment la jeunesse ou engagez-vous, qu'ils disaient ...
Mais tribun militaire, c'est quoi ? Eh bien c'est pas rien ! Papa Martin est un officier supérieur en charge de l'administration de la Légion. On n'est pas face au simple trouffion.
Mais qui dit militaire, dit mutations et voilà la petite famille de Martinus transférée à Pavie, au nord de l'Italie actuelle.
C'est là que Martin a ses premiers contacts avec des chrétiens. Le christianisme est en plein boum (on est à la période du concile de Nicée) et Marty, ça lui plaît bien (oui, je peux l'appeler Marty si je veux. Ce n'est pas irrespectueux, c'est affectueux !). Ca l'intéresse tellement que, vers son 10ème anniversaire, il songe sérieusement à se convertir.
Bon, pour papa, c'est pas l'éclate. Rappelez-vous que son fils se prénomme Martin pour une bonne raison !
Du coup, à 15 ans, paf ! Il l'expédie dans la Légion. Notez que le paternel a dû faire jouer ses relations, puisque l'âge légal d'engagement est de 17 ans à l'époque.
Martin n'est pas super emballé, mais se laisse convaincre par papounet, certainement pour ne pas nuire à l'image de la famille dans la société à cause de sa foi, qui croît à une vitesse exponentielle !
Et justement, ce n'est pas plus mal, parfois, d'être un "fils de", puisque, de par le statut de vétéran de papa, Martin ne rentre pas en tant que simple légionnaire, mais comme circitor. Vous voyez la racine du mot ? Circ. Comme dans circulaire, circonférence, circumrévolution, etc. Le jeune Marty est donc patrouilleur. Il tourne dans la ville, quoi. Il mène les rondes de nuit, inspecte les postes de garde, etc.
Autres avantages qui vont avec le poste : la double-solde, ce qui n'est pas désagréable, et un esclave attitré. D'après les on-dit, il l'aurait plutôt traité comme un ami. Ces on-dit venant de ses hagiographes, il est difficile de ne pas y voir un parti-pris d'enjoliver les vertus de Martin, mais ce ne serait toutefois pas impossible, au vu des principes religieux de ce dernier.
Avec son vieux pardessus râpé, il s'en allait l'hiver, l'été ...
Effectivement, ces principes chrétiens, on les retrouve dans sa manière de se comporter envers les autres, et surtout, les plus défavorisés. C'est d'ailleurs principalement pour cela que Marty est connu : sa générosité.
Le plus célèbre de ces actes de charité date de l'hiver 334. Rappelez-vous, il pelait sévère à cette époque, en Gaule, où Martin, alors âgé de 18 ans, était affecté, du côté d'Amiens.
Il caille, donc, en cette journée d'hiver et Martin, apercevant un pauvre hère gelé jusqu'aux os, veut absolument l'aider. Cependant, il n'a plus d'argent à lui donner, parce qu'il a déjà distribué l'intégralité de sa solde aux déshérités qu'il a croisés les jours précédents.
Et c'est là qu'arrive le fameux épisode du manteau, qu'il partage avec ce SDF antique. Alors n'allez pas vous imaginer le fameux pardessus râpé du paternel de Daniel Guichard que j'ai mentionné dans le titre de ce paragraphe. A l'époque, le manteau est une pièce de laine rectangulaire que l'on appelle une chlamyde. Effectivement, le nom n'est pas latin, mais grec. C'est de chez eux que nous arrive cette sorte de cape dans laquelle on s'enveloppe lorsqu'il fait frisquet. C'est une pièce d'équipement que les légionnaires reçoivent en dotation, mais qu'ils ont la possibilité de customiser. Non, n'imaginez pas des graffiti, des patchs de bikers ou des franges à pompons. On parle de customisation utile ! En l'occurrence, une doublure destinée à rendre la chlamyde un peu plus chaude et isolante.
C'est cette partie que Martin découd ou coupe et donne à ce pauvre gars, qui s'en enveloppe sans tarder, avec moult remerciements.
Et là, attention, paf ! Apparition divine !
La nuit suivante, Martin voit, en songe, le Christ en personne, vêtu de cette même doublure (l'aurait-il piquée au pauvre ?! Pas très sympa !). On ne saurait affirmer si celui-ci a dit quoi que ce soit à notre saint patron en devenir, mais on peut affirmer que ça l'a marqué. On le serait à moins, surtout quand on affiche une foi aussi affirmée et puissante.
Et vous savez quoi, le reste de sa cape sera plus tard exposé dans une pièce spéciale pour que les fidèles puissent venir l'admirer et vénérer ce symbole. Cette pièce où l'on montre cette cape donnera plus tard le nom de ... chapelle ! Eh oui, en italien cappella, en anglais, chapel, en allemand kapelle, etc.
Paradoxe-Man : ou le soldat de métier objecteur de conscience ...
Pas évident de concilier foi chrétienne et métier des armes !
Nous sommes en 354, en plein dans les grandes invasions barbares et, plus spécifiquement, dans le contexte historique : germaniques. Martin approche des 23 ans de service, dont une vingtaine passés dans une unité d'élite de la garde impériale.
C'est notamment à Civitas Vangionum (aujourd'hui, la ville porte le nom peut flatteur de Worms - vers / asticots en anglais !), en Rhénanie, que Martinus participe à la campagne sur le Rhin contre les Alamans. Mais voilà, il a, on l'a dit et répété, de TRES fortes convictions religieuses et ... il refuse de verser le sang et porter les armes.
Ce n'est pas quelque chose que l'on voit tous les jours chez un vétéran de la Légion !
Alors, pour ne pas passer pour un lâche et pour affirmer ses croyances et sa foi en la providence et la protection de Dieu, il demande à être enchaîné et exposé à l'ennemi. On s'attend à la voir mettre en charpie et/ou servir de cible aux archers ennemis, mais, au contraire et pour une raison encore inexpliquée, les barbares demandent la paix, alors que rien n'était joué ...
C'est 2 ans après, en 356, que Martin, alors arrivé au terme de la durée de service légale de 25 ans, que Martin quitte l'armée.
Peu de temps avant, alors qu'il est de nouveau en garnison à Amiens, il se fait baptiser à Pâques.
Mystic Marty
Prêt à totalement embrasser sa foi, Marty file alors à Poitiers (où il doit faire un peu meilleur qu'à Amiens ou en Rhénanie) où Hilaire (qui sera un Saint lui aussi) officie en tant qu'évêque. Il est d'ailleurs le premier évêque attesté de cette ville.
Hilaire est issu, comme Martinus, de l'aristocratie romaine et tous deux ont sensiblement le même âge. Les deux hommes se rapprochent et une amitié nait entre eux. Une bromance avant l'heure. Au point que Hilaire lui propose une charge de diacre, que Martin refuse. Selon lui, son ancien statut d'homme de guerre l'empêche d'embrasser la prêtrise.
Et là, on bascule vers le mystique à proprement dit, puisqu'on attribue à notre Martinus des pouvoirs de thaumaturge. Non, un thaumaturge n'est pas un cultivateur de tomates à pousse rapide, mais quelqu'un qui a le pouvoir de ressusciter les morts (on lui en attribue au moins 1) ou de guérir des malades. Il serait à l'origine de plusieurs guérisons miraculeuses et même, d'un exorcisme. Mieux, il aurait aussi rencontré le Diable, carrément ! On ne sait cependant rien de ce qui se serait dit lors de cette entrevue.
Vous voulez encore de l'extraordinaire ? Alors je continue.
Dans la région des Alpes, Martin se fait alpaguer (oui, j'ai choisi le verbe sciemment) par des bandits de grand chemin (si tant est que les chemins des Alpes fussent grands à cette époque). L'un des brigands lui demande s'il a peur. Martin leur répond, sans sourciller, qu'au contraire, il n'a jamais eu autant de courage et qu'il a pitié d'eux. Ni une, ni deux, il leur explique sa foi et l'Evangile. Soit inspirés, soit déstabilisés par son discours, les bandits délivrent Martin et l'un d'eux lui aurait même demandé qu'il prie pour son salut.
Martin l'ermite, comme Bernard, mais sans sa coquille
Le contexte religieux de l'époque est assez chelou. Il y a plusieurs courants de pensées qui s'affrontent, notamment sur la nature du Christ. Il y a ceux qui vénèrent la Sainte Trinité, et donc qui considèrent Jésus comme fils de Dieu, et ceux qui comme les ariens (non, pas les blonds aux yeux bleus qui ont un "y" à la place du "i"), nient la divinité du Christ et en font un péquin comme les autres.
Le boss de ces derniers se nomme Arius. Oui, je vous en ai parlé dans mon tout premier article pour ce blog, celui sur un autre saint : Saint Nicolas. Rappelez-vous (ou laissez moi vous rappeler), que le sus-nommé Arius, lors du Concile de Nicée en 325, s'était attiré les foudres de pas mal de monde avec ses idées et avait même récolté une grosse tarte dans sa tronche de la part de Saint Nicolas. Oui oui, une baffe, une vraie, une qui fait du bruit. Sauf que, contrairement à Will Smith pendant la cérémonie des Oscars, Nicolas avait été sanctionné et s'était retrouvé en cellule pour quelques jours ! Oui, fallait pas casser les bonbons de Saint Nicolas (qui ne sont pas les mêmes que ceux qu'il distribue lors des défilés de décembre ...).
Bref, ces ariens sont très influents au niveau de la sphère politique et Hilaire, partisan de la trinité, part en exil.
Au même moment, Martin reçoit une nouvelle visite en songe, ou du moins, un avertissement : il doit absolument se rendre fissa en Illyrie, où résident ses parents et les convertir. Hop hop, on se dépêche !
Sa mère est tout de suite partante et adhère à la foi chrétienne. Papa est toutefois réticent et reste sur ses positions.
En parlant de rester sur ses positions, c'est aussi le cas de Martin, un fervent trinitaire, qui n'hésite pas à rentrer dans le lard des ariens, dont la foi est majoritaire en Illyrie. Les disputes sont constantes et ce qui devait arriver arriva : Martin est fouetté publiquement et carrément chassé de la région ! Il tente de s'installer à Milan, mais c'est bonnet blanc / blanc bonnet, il se voit, là aussi, expulsé.
En compagnie d'un prêtre, dont l'identité n'est pas connue, il se retire sur une petite île, Gallinara, au large de la Ligurie, près du port d'Albenga (province de Savone). Bon, ok, Martin et son copain sont tranquilles, mais la vie sur l'îlot n'est pas ultra fun et le régime alimentaire consiste, le plus souvent, en des racines et des herbes sauvages. L'un des deux aurait sans doute pu penser à prendre un filet ou quoi que ce soit d'autre pour pêcher 2 ou 3 poissons de temps en temps, vu qu'ils sont sur une île, mais admettons ...
Résultat des courses, non seulement les deux hommes ont de sacrées carences, mais Martin manque de passer l'arme à gauche en s'empoisonnant accidentellement en ingérant de l'hellébore, qui est un purgatif puissant, surtout si on s'en fait une salade de saison !
Il faudra attendre l'année 360 pour que les trinitaires reviennent en grâce et que Hilaire reprenne son évêché là où il l'avait laissé, à Poitiers, donc. Cela vient aux oreilles de Martin, qui rentre au bercail et rejoint pour un temps son ami.
Martin a alors 44 ans et toutes ses dents (enfin, j'en sais rien, je dis ça comme ça). En 361, il se dit qu'il créerait bien un petit monastère et c'est Hilaire lui-même qui lui propose un petit coin sympa. Le domaine se situe à 8km de la ville environ et on y trouve, encore aujourd'hui, l'abbaye de Ligugé (ou abbaye de Saint Martin), qui est le plus ancien domaine monastique de France. Une petite communauté de disciples s'y établit et Saint Martin le gère ainsi pendant une dizaine d'années. Il est dit que c'est là qu'il y accomplira ses premiers miracles (du coup, on ne compte pas les résurrections / guérisons / exorcismes de sa vie de militaire, apparemment. Il faudra demander des comptes à son hagiographe, Sulpice-Sévère, qui nous la joue George Lucas en foirant le suivi entre ses chapitres ... ).
Allons faire un Tours
10 ans plus tard (en 371, si vous avez suivi), l'évêque de Tours, un certain Lidoire (oui c'est moche comme nom), décède.
Vers qui donc les habitants se tournent-ils alors, je vous le donne en mille : notre bon Martin, qui était peinard sur sa colline, à bouquiner et à prêcher tranquille au milieu de sa petite communauté. Evidemment, il refuse : il est bien là où il est et le poste ne l'intéresse pas.
Pas grave ... Les habitants l'enlèvent et le proclament évêque le 4 juillet, sans lui demander son avis ! Bah voyons !
Du coup, Martin dit finalement OK, car il y voit là une manifestation de la volonté divine ...
Les habitants sont contents, Martin, fait contre mauvaise fortune bon cœur, mais, chez ses collègues évêques, il ne passe pas trop bien. Il faut dire que Martin a un look peu présentable. Déjà, il est adepte des mortifications : pour faire simple, il aime bien se faire du mal pour mieux éprouver sa foi et progresser dans le domaine spirituel (ce n'est pas nouveau, mais faut avouer que c'est bien chelou). En un mot comme en cent, Martin a morflé pas mal dans ses pratiques. De plus, il s'impose des privations, qui n'avantagent pas sa silhouette et s'obstine à porter des vêtements ultra moches, grossiers et rustiques, et pas forcément en bon état. Pour les geeks, rappelez-vous le personnage du Grand Moineau (High Sparrow) joué par l'excellent Jonathan Pryce dans Game of Thrones.
Son statut ne l'incite donc pas à changer de train de vie. S'il crée un nouvel ermitage à Marmoutier (une abbaye encore aujourd'hui), à 3 km de la ville, il y impose pour règles la prière (jusque là, tout va bien), la pauvreté et la mortification. Ambiance ...
Les vêtements de rigueur sont d'étoffe grossière, et censés rappeler ceux de Saint Jean-Baptiste. La vie des moines se partage entre la copie de manuscrits, la pêche (il faut bien manger, même si c'est pas beaucoup) et les prières. De temps à autre, tel ou tel moine part s'isoler quelques temps dans l'une des nombreuses grottes de la région, pour une retraite encore plus austère. On y trouve carrément des habitations troglodytes.
Plus simplement dit : la vie de tout ce petit monde ressemble énormément à celle des premiers apôtres telle que décrite dans les Evangiles.
Au niveau patrimoine immobilier, l'abbaye d'aujourd'hui n'a plus grand chose à voir avec le monastère de l'époque, vous vous en doutez. Le bâtiment était en bois et Martin lui-même vivait dans une simple cabane dans laquelle, je cite, "il repousse les apparitions diaboliques et converse avec les anges et les saints." Un peu comme dans une chambre de geek où on peut entendre toutes sortes de bruits et cris étranges issus des jeux vidéo. Si ça se trouve, Marty jouait en secret à la PS5 ...
Martin en campagne
Mais Martin, contrairement à la plupart des évêques, dont le pouvoir s'arrête aux murs de leur ville, parcourt les campagnes et sillonne la Gaule, en compagnie de ses moines.
Pourquoi faire, me direz-vous, alors qu'il pourrait rester dans le "confort douillet" de son monastère ?
Eh bien parce que les campagnes de l'époque sont, dans une grande majorité, païennes, la chrétienté s'étant essentiellement développée dans l'habitat urbain. Voilà donc notre Martin en missionnaire, qui part prêcher auprès des paysans, tout en abattant en chemin les sanctuaires païens, temples et idoles pour les remplacer par des églises et/ou des ermitages.
Et ça marche pas mal, parce que le bonhomme sait parler ! Il a la tchatche facile, est bon psychologue et a la conviction de sa foi. De pus, il est adepte des paraboles adaptées à son auditoire et fait souvent mouche, prenant des animaux de ferme ou tout autre sujet du quotidien des habitants en exemple pour étayer son discours.
Son monastère de Marmoutier devient donc une sorte de pôle d'évangélisation de la Gaule.
Faisons une Trèves
C'est à Trèves, en 385, qu'un évêque du nom de Priscillien est condamné, le chef d'accusation étant ... la magie (ce qui veut dire tout et n'importe quoi). Celui-ci est jugé sur demande de deux évêques d'Espagne, qui sollicitent Maxime, l'Empereur de l'époque. Je ne m'attarderai pas en détail sur la doctrine de Priscillien, mais sachez seulement qu'il est le premier chrétien à être condamné par d'autres chrétiens pour hérésie (tout ça parce qu'il ose proposer une autre interprétation de la religion). Martin participe aux débats et demande la grâce pour l'accusé. Bon, ça ne marche pas, mais il obtient au moins que ses disciples ne soient pas poursuivis. C'est déjà ça de pris !
Ces magouilles politico-religieuses échauderont Martin, qui refusera par la suite toute participation aux assemblées épiscopales. Par la suite, le nouvel empereur, Théodose Ier, déclarera nulles les décisions de son prédécesseur. Les 2 évêques ayant porté les accusations perdront leur charge : l'un sera déposé et l'autre démissionnera.
Revenons à nos Marmoutons
Nous revoici à Marmoutier, qui compte 80 frères qui vivent sur place, quasiment tous issus de l'aristocratie. Et qui dit aristocratie, dit influence et appuis. Au point que Martin se faisait recevoir par les empereurs en personne, tout en restant fidèle à ses préceptes. A la table du big boss, il servira toujours le prêtre à côté de lui, avant l'empereur lui-même, expliquant son geste en soulignant la prévalence du sacerdoce face au pouvoir politique.
Vous voulez une anecdote vachement sympa ? Alors lisez plutôt ...
Un jour, sur les bords de Loire, alors qu'il vient d'attacher sa barque (car il connait les nœuds marins et quand il y a besoin, Martin t'amarre), Martin est avec quelques uns de ses disciples et ils observent deux oiseaux se disputer des poissons. Notre évêque leur expliquera alors que c'est ainsi que les démons se disputent les âmes des chrétiens. Vous voyez où je veux en venir ? Ces oiseaux portent désormais le nom de martins-pêcheurs !
L'évêque, bien qu'il en eût marre, tint jusqu'au bout (ok, c'était juste pour pouvoir faire un jeu de mots avec Martin dedans ...)
Malgré la pauvreté du titre de ce paragraphe, c'est bien ce qui arriva. A Candes-sur-Loire a lieu un bisbille entre clercs, ce qui n'est pas top : l'unité de l'Eglise est primordiale. Alors, malgré son âge très avancé pour l'époque, Martin se rend sur place. Avec succès, d'ailleurs, car il parvient à calmer les esprits.
Mais, le lendemain, le 8 novembre 397, épuisé, il décède à 81 ans avant d'avoir pu rentrer à Marmoutier.
Et là, ses aventures ... ne sont pas terminées ! Poitevins et Tourangeaux se disputent sa dépouille ! Chacun veut l'enterrer de son côté.
Il est dit que les Tourangeaux, vainqueurs de cette compétition morbide, auraient subtilisé le corps en le faisant passer par une fenêtre ! Pas très digne, tout ça ! Quoi qu'il en soit, Martin sera rapatrié à Tours par barque, où il sera inhumé le 11 novembre dans le cimetière chrétien situé en dehors de la ville.
Ce n'est qu'en 470, le 4 juillet, que l'évêque Perpétuus fait construire, à la place de ce tombeau, une basilique, évidemment nommée basilique Saint Martin.
Saint Martin se disperse façon puzzle
Au sens figuré, bien-sûr ! Il est célébré un peu partout en Gaule (romaine, puis franque), ayant été celui par qui les monastères ont fleuri dans le pays et étant l'un des artisans du développement de la foi chrétienne dans le pays.
Evidemment, on le célèbre aussi en Hongrie, sa patrie d'origine, même s'il n'y est pas resté très longtemps.
Il bénéficie aussi d'une grande popularité en Flandre et en Belgique, où il serait passé répandre la bonne parole à un moment de sa vie. Il en va de même en Suisse (il est d'ailleurs le saint-patron de la garde-suisse pontificale), ainsi qu'en Allemagne ou encore en Autriche.
Mais sa popularité ne s'arrête pas en Europe, puisqu'il est également patron de Buenos Aires en Argentine ou encore de la localité de Rivière-au-Renard (quel joli nom) au Québec.
Il est enfin, comme je vous le disais au début de cet article, le saint-patron de nombreuses activités professionnelles : maréchaux ferrants, policiers, commissaires des armées, soldats ou encore, comme mentionné sus-ci-dessus-plus-haut, la garde suisse du Pape.
On a le temps avant de fêter de nouveau la Saint Martin, puisqu'elle tombe le 11 novembre. Alors en attendant, je vous invite à relire cet article tous les jours, telle une prière à ce saint hors du commun ! Ou alors, mieux, cliquez sur l'image ci-dessous et offrez vous un exemplaire de l'illustration de Redpaln qui ... ben, illustre LE passage le plus célèbre de la vie de ce personnage vraiment atypique.
Eh mais ...! Je n'ai mis aucune référence à l'Amiral Nelson dans cet article !! Alors allons-y : Nelson Nelson Nelson Nelson Nelson Nelson Nelson Nelson Nelson Nelson Nelson Nelson.
Ouf, voilà qui est fait !
Sur ce, je vous retrouverai vendredi prochain avec un nouvel article sur un autre personnage passionnant ! Martinesquement vôtre,
Votre humble et dévoué serviteur,
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