On connaît la légende du XIIème siècle concernant Saint Nicolas, notamment fêté dans l’Est de la France le 6 décembre (mais aussi dans de nombreux pays d’Europe, comme Santa Claus, Niklaus, Klaus, etc), tel un pré-Père Noël. Néanmoins, voici un petit résumé pour celles et ceux qui ne seraient pas familiers du bonhomme.
LA LEGENDE, TELLE QU'ON LA CONNAIT PAR CHEZ NOUS ...
Or donc, il advient que (oui, j’aime bien les formules old school un peu pompeuses pour démarrer une histoire) 3 gamins de la campagne - oui, nous sommes en milieu rural - s’en allèrent glaner aux champs. Déjà, qu’est-ce que glaner, me direz-vous ? A l’origine, cela signifiait récupérer les fruits, légumes, céréales qui n’avaient pas été récoltés lors des moissons. Le glanage était souvent pratiqué par les ouvriers de l’exploitations agricole en question et le fruit de leur récolte était, le plus souvent, pour leur consommation personnelle, mais pouvait aussi être vendu pour arrondir les fins de mois (qui n’étaient pas très folichonnes à l’époque … tout comme le reste du mois, d’ailleurs …).
Donc, nos 3 pauvres petits gars s’en vont ramasser ce qui traîne dans un champ pour ne pas avoir uniquement de la soupe aux cailloux pour le soir. Ce dernier approchant, ils décident de demander l’hospitalité pour la nuit à un boucher qui réside dans le coin. On se demande bien ce qu’il faisait en pleine cambrousse, d’ailleurs. Les affaires ne devaient pas être bien florissantes !
Bref, quoiqu’il en soit, il les fait entrer et, à peine passé le pas de la porte qu’il les tue, les débite en morceaux et les stocke dans son saloir …
Évidemment, comme dans tout bon film d’horreur, on a toujours une bande de jeunes qui se perdent dans la nature, qui tombent sur une cabane et, manque de bol, l’occupant des lieux est un psychopathe sanguinaire (et, pourquoi pas, cannibale).
Généralement, les protagonistes de ce genre de films (qu’on appelle un slasher) survivent un peu plus longtemps pour servir l’histoire et sont éliminés un par un, suspense oblige. Mais pas là. Non. Pouf, 3 d’un coup, le film est fini, générique.
Oui mais voilà, comme à la fin des Marvel, il y a la fameuse scène post-générique ! Et dans le cadre de Saint Nicolas, elle dure en fait plus longtemps que l’histoire principale.
Nous sommes 7 ans plus tard. Oui, il ne s’est pas pressé, Nico.
Le voilà qui toque à la porte. Vu qu’il porte son costume complet, le boucher le reconnaît illico. Il est même flatté de voir l’illustre évêque se présenter dans son humble demeure.
Il l’invite aussitôt à sa table et entreprend de le servir.
Seulement voilà, le jambon n’est pas bon, le veau n’est pas beau (ce passage est directement tiré de la comptine connue dans le Grand Est) et Saint Nicolas refuse tout ce qui lui est présenté à table.
Et là, bam ! Saint Nicolas regarde le boucher par dessous ses sourcils broussailleux et lui demande tout de go s’il ne veut pas plutôt lui ramener un bout de petit salé qui attend depuis 7 ans dans la réserve … (<- points de suspension de tension extrême avec gros plans sur les regards, façon Sergio Leone).
Là, le boucher se redresse de toute sa hauteur … et prend ses jambes à son cou.
Mais Saint Nicolas, plutôt que de lui courir après, ce qui n’aurait pas été très digne de son rang (et de son âge avancé), lui crie de s’arrêter, que s’il se repent, Dieu lui pardonnera. Le boucher, sentant le piège, ne s’arrête pas, car Saint Nicolas, adepte des arts martiaux, savait manier la crosse comme personne et le danger était grand de s’en prendre un grand coup en travers de la pomme.
Sur ce, notre Super-Evêque va s’asseoir dans le saloir et, levant 3 doigts, il invite les 3 enfants à faire de même. Et pouf, voici nos 3 bambins qui se redressent (intacts, évidemment !) et déclarent qu’ils ont bien dormi (la resurrection leur a apparemment épargné le stress post-traumatique du souvenir de leur mort atroce).
Voilà comment se termine la comptine. Nul autre cas n’est fait du boucher. Peut-être s’est-il repenti (auquel cas, il s’en sort plutôt bien pour un triple meurtre d’enfants), peut-être a-t-il été rattrapé et condamné, on ne sait.
Comme je vous le disais en préambule, cette comptine nous vient du XIIème siècle et, au fil du temps, a été adaptée petit à petit aux contextes historiques, culturels et régionaux pour devenir ce qu’elle est aujourd’hui.
Mais, car il y a un “mais”, l’origine de cette légende n’a absolument rien à voir avec des enfants ou un boucher ! Mais avant de vous raconter l'histoire originale, permettez-moi de vous présenter notre héros.
SAINT NICOLAS, L'HOMME AVANT LA LEGENDE !
Il faut savoir que Saint Nicolas, de son vrai nom Nicolas de Myre, né en 270 après J.C. et mort en 340 au sud de l’Anatolie, dans une riche famille chrétienne grecque. On ne connaît pas très bien son cursus. Cependant, on estime que son oncle, évêque de Myre, l’aurait ordonné prêtre. Par la suite, le successeur de son oncle venant à mourir, il devient évêque à son tour aux alentours de 300 ap. J.C.
Il fut arrêté et torturé vers 310 lors de la période de persécutions des chrétiens avant d’être libéré à l’arrivée au pouvoir de l’Empereur Constantin Ier, partisan de la liberté de culte.
Il est admis qu’il aurait distribué l’intégralité de son héritage aux pauvres (ses parents étant morts pendant une épidémie de peste), ce qui a contribué à sa légende et, à terme, à sa canonisation.
Mais, avant d’être canonisé, Nicolas était loin d’être un saint ! Mes suppositions de coups de crosse sur le boucher étaient finalement peu exagérées puisque, lors de sa participation au Concile de Nicée, en 325, il eut une vive altercation avec l’un de ses collègues et finit par lui mettre sa main dans la figure ! Ce qui lui valut une exclusion du concile et un petit tour derrière les barreaux. Il a néanmoins été réhabilité à l’issue.
Farouchement opposé aux restes des religions païennes, il fera démolir notamment le temple dédié à Diane / Artémis à Myre.
PLACE AU FANTASTIQUE !
On lui attribue plusieurs miracles de son vivant.
Lors d’une période un peu “creuse”, Nicolas se rend dans un port proche où des navires chargés de blé faisaient escale pour s’abriter d’une tempête. Il convaint les capitaines de laisser un peu de leur cargaison en leur garantissant un voyage sans encombres jusqu’à leur destination. Arrivés à Constantinople, les marins constatent que les cales contiennent autant de céréales qu’au moment de leur départ, malgré la part prélevée lors de l’escale, ce qui est un tour de force sympathique.
Deuxièmement, toujours sur la mer, on attribue à notre bon évêque de Myre le sauvetage de
marins en situation périlleuse non loin de la côte de Lycie. Les matelots, se sentant perdus, prient alors l’évêque du coin, qui a déjà bonne réputation et le voici qui apparaît sur le pont du bateau ! Ne se contentant point de donner un support moral, il mettra même la main à la manœuvre, ferlant les voiles ou tenant le gouvernail. Arrivés à bon port, Nicolas disparaît tout aussi soudainement qu’il était arrivé, sous les yeux médusés des marins. Débarqués en Lycie, ces derniers se précipitent à Myre et le reconnaissent immédiatement au milieu de la foule, confirmant ainsi que Nicolas était bien leur sauveur.
Mais le miracle qui nous intéresse va nous permettre de reboucler avec la légende de la comptine célèbre en Lorraine et en Alsace et d’en déterminer les origines qui, vous allez le voir, n’ont absolument rien à voir avec les faits !
Un peu de contexte : nous sommes dans les années 320, sous le règne de l’Empereur Constantin Premier. La capitale de l’Empire Romain (alors déjà bien affaibli) est Constantinople.
Trois officiers impériaux, de retour d’une campagne dans la Phrygie voisine rentrent en vainqueurs et en héros dans la capitale. Cependant, ils se voient rapidement accusés de fomenter un coup d’état et d’attenter à la vie de l’Empereur. Il s’agit vraisemblablement d’un complot fomenté par d’autres officiers, jaloux de leur succès avec la complicité du préfet du palais impérial.
C’est un procès à charge et les soldats sont rapidement condamnés et enfermés en attendant leur exécution. Depuis leur geôle, ceux-ci prient, devinez qui ? Notre bon Nicolas, évidemment ! Cette même nuit, l’Empereur lui-même et son préfet voient en songe l’évêque Nicolas qui leur ordonne de relâcher ces vaillants officiers condamnés à tort sous peine de châtiments pas très sympas.
au réveil, Constantin, convaincu de leur innocence, s’empresse de les faire libérer. Il les envoie vers leur sauveur accompagnés de présents ainsi que d’une lettre d’excuses et de prières demandant pardon à l’évêque.
Et c’est tout ! Mis à part les rêves/visions, c’est une affaire de complot comme on aime en voir dans les thrillers policiers !
SAINT NICOLAS IS BACK ... 800 ANS PLUS TARD ...
Il faut attendre pas loin de 800 ans pour que le culte de Saint Nicolas arrive dans nos contrées, avec ce qu’il faut de mauvaises interprétations et de déformations.
Sur les illustrations du Moyen-Âge, les saints sont souvent représentés bien plus grands que le commun des mortels. Sur celles relatant l’événement, on voit clairement un Saint Nicolas géant devant 3 petits personnages (les officiers). Les chrétiens du XIème siècle les prendront alors pour des enfants. De plus, on interprète mal l’innocence des personnages, ce qui appuiera le choix d’enfants, qui sont le symbole de l’innocence (au sens “pureté” du terme). Ils sont, de plus, enfermés dans une représentation de tour de château symbolique de petite taille, qui sera interprétée comme un baquet ou un saloir.
Comme je le disais plus haut, le temps, les références culturelles et les particularités régionales feront de cette histoire la légende que l’on connaît aujourd’hui et qui est bien éloignée des faits initiaux !
Je vous fais grâce des nombreux autres miracles attribués à Saint Nicolas après son décès, mais, si vous souhaitez en savoir plus, je vous invite à consulter la page Wikipédia qui lui est dédiée ! En attendant, si vous avez toujours une âme d’enfant, rien ne vous empêche d’aller faire un tour dans l’Est début décembre, pour assister aux défilés traditionnels, récupérer quelques bonbons et vous faire prendre en photos en compagnie de notre bon Saint Nicolas ou ...
... vous pouvez aussi vous faire plaisir en vous offrant (ou en offrant) un tirage signé de l'illustration du Saint Patron !
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